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L’ancrage local des entreprises : du devoir à l'opportunité

L’entreprise, longtemps perçue et considérée comme cette forteresse qui pouvait se contenter de produire de la richesse, sans se soucier de ce qu’il se passait à l’extérieur, doit aujourd’hui prendre ses responsabilités sur le rôle qu’elle a dans son écosystème et sur son territoire. UN AVIS unanimement partagé par Jean Kaspar, Jean-Michel Lecuyer et Christophe Chevalier lors de notre table ronde inspirante.

 

Comment l’ancrage local est-il devenu aujourd’hui un tel enjeu ?

Jean Kaspar : Notre société n’accepte plus que les entreprises exploitent simplement les territoires sans s’y intéresser et sans s’y investir. Les entreprises s’approprient progressivement ce rôle

d’acteurs du territoire, ancrés et créateurs de valeur. Cet enjeu questionne les relations qu’entretiennent les entreprises avec les services publics, les élus ou encore les habitants.

 

Force est de constater qu’aujourd’hui le lien entre le territoire et les entreprises s’est abîmé. Et pourtant, ce sont elles qui créent des emplois et diffusent la richesse sur le territoire.

 

Jean-Michel Lecuyer : Parallèlement, les collectivités territoriales se sont toujours attachées à appuyer le développement économique de leur territoire, mais elles restent très largement absorbées par les sujets sociaux comme l’aide aux populations fragilisées et dégagent de plus en plus difficilement des ressources pour le développement économique.

 

Parallèlement, ce sont ces collectivités qui disposent d’un réseau d’incubateurs, de FabLabs qui peinent à accomplir leurs missions sans moyens. Je partage ce constat de lien abîmé entre collectivités et entreprises, et le devoir revient en partie aux entreprises de le consolider à nouveau pour créer une dynamique positive sur le territoire.

 

J. K. : Pourtant, s’investir sur son territoire constitue également une chance exceptionnelle pour les entreprises, qui en tirent de nombreux avantages. L’ancrage local n’est pas qu’un devoir pour

l’entreprise, mais aussi une formidable opportunité. Ce devoir d’ancrage se justifie par le fait que la richesse et les compétences se trouvent très largement dans les entreprises, et notamment dans celles de moyenne et grande taille. Si aujourd’hui elles ne s’investissent pas sur leur territoire et ne s’impliquent pas dans la création d’un écosystème vertueux, il ne faut pas s’étonner que le lien s’abîme.

 

Cela signifie simplement qu’il y a des alliances à faire entre les richesses et compétences des entreprises, et les volontés d’émergence de nouvelles propositions sur le territoire. Les collectivités

disposent d’idées et d’énergie à déployer sur le territoire, mais elles ont besoin du soutien des entreprises.

 

Vous évoquez donc l’ancrage local Comme étant à la fois un devoir et une opportunité. Peut-on alors parler d’une sorte de responsabilité territoriale des entreprises ?

Christophe Chevalier : Absolument. La question de responsabilité territoriale, par sa nature, est éminemment politique, car elle questionne certes d’un côté le lien entre entreprises et territoire, mais également le lien entre salariés et territoire, le vivre-ensemble. Elle inclut la responsabilité sociale, la responsabilité sociétale et la responsabilité écologique puisqu’elle concerne l’environnement

au sein duquel l’entreprise évolue.

 

Pour les entreprises, l’enjeu est double, il concerne à la fois la question du bien être de ses salariés, ainsi que sa propre pérennité.

 

La responsabilité territoriale constitue un moyen de se projeter à long terme. Si une structure est créée dans le but de faire du profit au bout de 3 ans, elle ne s’investit pas sur son territoire, ignore cette responsabilité et ne s’intéresse pas au développement durable. Mais si elle veut continuer à exister dans 10 ans, il faut certainement qu’elle s’y intéresse : c’est une condition nécessaire à l’agilité de l’entreprise.

 

Parallèlement, une entreprise qui s’investit dans son écosystème, non seulement économique, mais aussi social (le milieu associatif, les centres sociaux), culturel et environnemental, permet à ses salariés de trouver du sens dans leur vie professionnelle.

 

Ce besoin d’ancrage se justifie simplement : personne ne peut se permettre de vivre sans regarder les autres, sans échanger. Cela implique également une notion de plaisir. Un territoire est aussi un terroir, une culture, une « bouffe ».

 

Cette notion de plaisir permet de créer tout un réseau d’expériences culturelles et associatives qui donnent du sens, bien souvent au sein même de la vie professionnelle des individus.

 

Cette notion est primordiale car le travail n’est pas qu’une parenthèse, et restreindre la recherche de sens uniquement aux moments de temps libre ne peut pas s’entendre. J’oserais d’ailleurs aller plus loin : est-ce réellement porteur de sens de fabriquer des mines antipersonnels la journée et de s’investir le soir venu chez Handicap International ?

 

Il faut sortir de ce comportement un peu schizophrène. Travailler dans une société qui a conscience de sa responsabilité sur son territoire, et qui s’y investit, constitue un vrai remède à l’isolement et à la perte de sens. Il est clair que les grands groupes désincarnés, sans réelles attaches territoriales, peuvent créer beaucoup de souffrance chez leurs salariés.

 

J. K. : Je pense par ailleurs qu’il convient de dire que le but n’est pas d’investir uniquement dans l’image de l’entreprise, sa responsabilité, mais également les salariés de manière individuelle.

Pour cela, il faut partir du constat que chaque individu dans l’entreprise, quelle que soit sa fonction, partage avec les autres le même objectif : que la société fonctionne.

 

Si l’ancrage territorial permet à l’entreprise de mieux fonctionner, alors chaque salarié a une bonne raison de s’investir personnellement. Et comme le soulignait Christophe Chevalier, il est extrêmement porteur de sens pour les salariés que de voir leur entreprise d’investir localement.

 

C. C. : Absolument, et c’est ce qui fait de la responsabilité territoriale, à la fois à l’échelle de l’entreprise mais aussi de l’individu, un vrai enjeu sociétal. Il s’agit d’un moyen de conjuguer les aspirations profondes des salariés avec ce que font les entreprises sur les territoires. Quand les hommes, les organisations travaillent ensemble, coopèrent, se parlent, des richesses jusqu’alors insoupçonnées sont créées. Tout l’enjeu de la responsabilité et de l’ancrage territorial est là.

 

L’ancrage local, au-delà de son apport de sens, serait donc un moyen de pérenniser l’entreprise. Pourriez-vous expliquer comment, ou par quels mécanismes ?

J-M. L. : À mon sens, il est important de préciser que l’ancrage territorial ne constitue en rien une relation unilatérale de l’entreprise vers la collectivité. Dans les faits, les structures investies sur leur territoire tirent bien des bénéfices d’un tel engagement. À mon sens, ces bénéfices peuvent se résumer ainsi : réseau, résilience, attractivité. S’investir sur son territoire permet de rencontrer

d’autres professionnels, des élus, et autant de personnes qui viendront grossir un réseau.

 

Dans le même temps, s’investir sur son territoire offre plus de visibilité à l’entreprise, et améliore son image de manière générale. Elle devient associée à des projets de développement durable, de développement social, généralement initiés par les collectivités territoriales.

 

De plus, développer son réseau sur le territoire permet de mettre à profit des intelligences extérieures à l’entreprise, avec deux conséquences principales. La première est la prise de meilleures

décisions stratégiques et managériales, car l’entreprise prend conscience de ce qui fonctionne ailleurs. Et deuxièmement, l’entreprise acquiert une meilleure résilience face aux défis qui lui font face. Elle se trouve mieux entourée et a plus de portes auxquelles frapper pour trouver des solutions.

 

Ultimement, le fait que l’entreprise s’intéresse à ce qui se passe autour d’elle n’est pas simplement une question de responsabilité ou de morale, mais une condition de son efficacité et de son attractivité. Elle entre ainsi dans un cercle vertueux : si son territoire se porte bien, l’entreprise se portera bien également, et vice-versa.

 

Les entreprises vertueuses constituent une richesse formidable pour un territoire, qui accroit ainsi son attractivité.

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Jean Kaspar, gérant de JK Consultant, s’est spécialisé dans le conseil en stratégie sociale. Fort de son expérience dans le domaine, notamment en tant...

06/03/2020

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